Les tribulations de Mussolini en Suisse
L’historien Claude Cantini suit pas à pas le futur dictateur fasciste pendant son séjour en Suisse romande de 1902 à 1904.
Mussolini est né en 1883 dans un village de Romagne, la région d’Emilie, près de Forli. Son père est forgeron et cafetier et sa mère institutrice. Benito obtient un diplôme d’instituteur en 1900; il exerce ce métier pendant un an. Mais son poste d’enseignant n’étant pas renouvelé, il part pour la Suisse en 1902. Il a alors 19 ans. Il est possible de suivre avec une certaine précision les activités du futur Duce pendant ses séjours en Suisse de 1902 à 1904.
Par Chiasso, il arrive à Yverdon le 10 juillet 1902 et après quelques jours de travail dans un chantier comme manœuvre à Orbe, il parvient à Lausanne le 20. Le 24, il est emprisonné pour vagabondage. Les archives communales ont conservé le rapport de l’agent de police Louis Émery: «A Lausanne depuis 4 jours, il a été arrêté à 4 heures et demie du matin sous les voûtes du Grand Pont au moment où il sortait d’une caisse dans laquelle il a passé la nuit… Mussolini n’avait sur lui que 15 centimes.» La caisse qui lui servait de lit était un emballage de l’entreprise de déménagement Lavanchy. Conduit chez le préfet, il sera relâché le 30 juillet 1902.
Au début du mois d’août, il rencontre au Café Torlaschi des membres de la section socialiste italienne et plus particulièrement le secrétaire Gaetano Zannini, ainsi qu’Emilio Mazzetto, le rédacteur du journal du parti, L’Avvenire del lavoratore. Ce dernier lui ouvre d’emblée les colonnes de sa publication et le loge chez lui à Lausanne, au numéro 6 de la rue de l’Industrie. Selon une source orale, il vivra également quelques temps à la Rochettaz à Pully.
Au courant de ce mois d’août 1902, Benito Mussolini est engagé comme secrétaire-propagandiste par le Syndicat italien des maçons et des manœuvres dont les membres se réunissaient au café Boch, au numéro 6 de la rue des Deux-Marchés. A ce poste, il gagne 5 francs par mois. Ce montant correspond approximativement à 350 francs actuels. Cet emploi implique non seulement les activités d’un militant socialiste, mais aussi de nombreux déplacements. Benito Mussolini donnera de nombreuses conférences. Les sources permettent de savoir qu’il a parlé à Lausanne Vevey, Nyon, Montreux, Genève, Fribourg, Berne, Thoune et Bâle.
En juin 1903, lors d’un déplacement à Berne où il a travaillé dans le bâtiment, il est emprisonné du 18 au 30 du mois sous l’inculpation d’incitation à la grève. Il fait l’objet d’un arrêté d’expulsion cantonale.
Le fougueux syndicaliste est reconduit à la frontière pour être livré à Chiasso aux autorités italiennes. Il est vite libéré à Côme et se rend à Bellinzone. C’est vers la mi-août 1903 que nous le retrouvons à Lausanne. Il y obtient un permis de séjour valable six mois. Toutefois, sa mère tombe gravement malade et il rentre en Italie vers la mi-octobre.
Un clandestin à Genève
Le futur maître de l’Italie reviendra le 27 décembre 1903 en Suisse. A Genève cette fois. Il vient pour éviter le service militaire dans son pays. Après avoir séjourné en janvier et février à Annemasse, il revient à Genève au début du mois de mars. Il y est arrêté pour falsification de passeport, le 9 avril. Une semaine plus tard, Mussolini est expulsé aussi du canton de Genève et reconduit une seconde fois à la frontière italienne. Mais les socialistes tessinois viennent à son secours en faisant valoir qu’il est condamné en Italie pour désertion. Il est ainsi libéré sur le chemin, à Bellinzone. Benito Mussolini revient donc clandestinement à Genève. Le 3 mai le voilà à nouveau à Lausanne. Il s’installe dans une pension de famille à la rue de la Caroline. Sans abandonner son activité de militant, il profite de l’argent donné par sa mère pour s’inscrire à l’Université.
Une loi d’amnistie en Italie lui permet de rentrer. Et d’ailleurs son permis de séjour arrive à expiration. Mussolini quitte définitivement Lausanne le 7 novembre 1904.
De multiples activités
Pendant son séjour helvétique, Mussolini a aussi travaillé comme manœuvre à Orbe, Renens et Berne. Il a été magasinier, commis et garçon de course chez un marchand de vin, un épicier et un boucher. Il a été «bacounis» au port d’Ouchy. Il a également donné quelques leçons d’italien et de français. Si on en croit la tradition orale, citée par Eric Müller, Mussolini a également pratiqué la profession de son père: «C’était l’époque de la construction de la ligne Vevey-Chexbres à laquelle travailla Mussolini en qualité de forgeron préposé à l’entretien des pelles et des pioches.» Si cette tradition est vraie, Mussolini a sans doute participé à la grève qui a marqué ce chantier du 10 au 14 juillet 1904. A Annemasse, le futur dictateur aurait travaillé comme charretier dans une carrière de sable.
L’anarchiste Luigi Bertoni a rencontré plusieurs fois le futur Duce en 1903 et en 1904. Dans son journal genevois, Le Réveil anarchiste, ce rédacteur a donné son piquant point de vue sur les activités manuelles de Mussolini. C’est dans l’édition du 25 juillet 1931: «Répétons le une fois encore, Mussolini n’a jamais été maçon. On peut s’improviser ministre de n’importe quel ministère, mais le métier de maçon, comme tout autre métier honnête, demande un apprentissage. Mussolini a été durant quelques semaines manœuvre du bâtiment et membre du Fingerverein, la Société du doigt. En d’autres termes, il avait appris à simuler des accidents de travail en se blessant volontairement à un doigt.»
La preuve que Dieu n’existe pas
Dans le cadre de ses activités syndicales, Benito Mussolini a donné en 1904 une conférence à la Maison du Peuple qui se trouvait alors à La Caroline à Lausanne. Il y défendait des thèses en faveur de l’athéisme. Un pasteur évangélique italien du nom de Taglialatela l’a pris à partie et fourni des arguments en faveur de l’existence de l’Eternel.
Alors le futur duce a demandé une montre à quelqu’un dans le public. La tenant dans sa main, il a asséné: «Si dans trois minutes, je ne suis pas foudroyé, cela prouvera que Dieu n’existe pas.» Des mauvaises langues ont prétendu que, après sa démonstration, le futur Duce n’aurait pas rendu la montre à son propriétaire.
Claude Cantini,
Infirmier et historien amateur,
Cet article est tiré du numéro 3 du magazine Passé-simple paru en mars 2015.